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Essai Bugatti Veyron 16.4 : La légende

La Bugatti Veyron a toujours provoqué chez moi des sentiments mélangés entre fascination et émotion. Je parle de la fascination et de l’émotion qu’elle suscite, tant par sa fiche technique d’un autre monde que par son côté classe et discret, qui la place loin, très loin, de l’exubérance des hypercars modernes. Son aura est telle que tout le monde la connait : passionnés, amateurs, non initiés au monde automobile, personne lambda. Il n’y a personne qui ne connaît pas la Veyron, chose dont la Chiron, pourtant mieux sur bien des points, ne peut se targuer.

Pourquoi une telle aura ?

Plus que sa fiche technique qui exciterait même le plus blasé des ingénieurs, Bugatti aura misé sur trois nombres pour construire le mythe : 3, 400 et… 1000. Soient les trois barrières qui s’annonçaient infranchissables pour un véhicule de série. Les promesses de la Veyron étaient simples : un 0 à 100 km/h en moins de 3 secondes, une vitesse maximale de 400 km/h, un moteur développant plus de 1000 ch.

Au final, les attentes seront largement dépassées puisque les valeurs sont respectivement de 2,5s, 408,45km/h (415 quelques mois après) et 1001ch. Même si cette puissance pourrait paraître un peu plus répandue aujourd’hui, il faut tout de même la remettre dans son contexte. A sa sortie en 2005, la concurrence était… inexistante. Celles qui se rapprochaient le plus étaient les Ferrari Enzo (660 ch), Lamborghini LP640 (640 ch), Mercedes/McLaren SLR (620 ch), ou encore Porsche Carrera GT (612 ch). Avec 40% de puissance en moins, elles étaient déjà considérées comme surpuissantes, à une époque où parler de puissance et de vitesse n’était pas encore totalement tabou.

Mais au-delà de ses chiffres, qu’en est-il vraiment ? Est-ce une brute épaisse qui vous coupe la respiration à chaque accélération ? Ou est-ce plutôt une voiture ultra aseptisée qui gomme toutes les sensations pour ne pas effrayer la clientèle ? Eléments de réponse dans l’expérience la plus incroyable qu’il m’ait été proposée.

Bugatti Veyron : l’improbable contexte de mon essai

Tout commence à l’été 2009. J’ai alors la chance d’aider à l’organisation des Masters Series à Magny Cours. L’un des pilotes gagne son épreuve à bord de sa superbe Porsche 904 GTS. Je lui remets sa coupe et très vite nous discutons autour de notre passion commune pour les autos. Je me rends compte qu’en plus d’une gentillesse et d’une accessibilité réelle, il possède une collection d’automobiles tout simplement ahurissante (par discrétion je ne détaillerai pas, mais croyez-moi c’est assez dingue). Nous échangeons nos adresses mail et quelques mois plus tard nous nous retrouvons chez lui pour approcher ses autos et continuer nos discussions automobiles.

La porte du garage s’ouvre et le choc est immense. Toutes les voitures n’avaient pas été citées lors de notre discussion, et nous sommes bel et bien en présence d’une des plus belles collections privées d’automobiles que j’ai pu voir. Au centre, une bâche siglée Bugatti laisse apparaître les formes d’une Veyron. Nous faisons un tour détaillé de la superbe collection du garage et nous finissons par débâcher la Veyron. A ma grande surprise, c’est LA première Veyron que j’avais croisée sur route ouverte à Monaco quelques années auparavant. Cela ajoute encore une pointe d’émotion à ce moment, s’il n’en fallait.

Certaines mauvaises langues ne considèrent la Veyron que comme une vulgaire grosse Audi TT. Mais en réalité, de visu et dans les détails, elle est très intéressante. Les ailes larges lui donnent un aspect râblé, la voiture est au ras du sol et les jantes, en aluminium poli, ne sont pas démesurées. L’emblématique calandre est évidement présente et participe à avoir un ensemble cohérent. La voiture fait propre sur elle, la rendant parfaitement en phase avec le positionnement de la marque, et laissant le coté extravagant à Lamborghini.

Bugatti Veyron : tour du propriétaire

Ma configuration marie un rouge opaque et un blanc nacré d’une rare élégance et qui donne cette proposition unique pour une Bugatti Veyron. Au final, et avec quelques années de recul, la Veyron m’apparaît comme une des automobiles les plus élégantes qui soit. Nous sommes à des années lumières de l’esprit retranscrit par la Chiron, nettement plus agressive et déstructurée avec sa poupe très ouverte.

A l’intérieur l’expérience est différente de tout ce que j’ai pu vivre. On entre dans une voiture d’un luxe, d’une qualité et d’une finition de très haut niveau. Aucun plastique n’est présent, tout est habillé d’un cuir d’une extrême douceur, d’Alcantara ou d’aluminium avec des assemblages d’une précision chirurgicale. La console centrale est d’une simplicité absolue et rappelle l’héritage Bugatti en arborant un aluminium bouchonné du plus bel effet. Dans l’univers de la Veyron, il n’y a pas de place pour un écran tactile ou un GPS visible (ce dernier est intégré au rétroviseur intérieur) ou quelconques superflus. Ce n’est pas franchement pratique mais l’essentiel est ailleurs dans cette auto !

Devant mon émerveillement, le propriétaire me propose de faire un tour avec. Mon oui ne s’est pas fait attendre ! Assis au ras du sol, Je me retrouve enveloppé par les sièges optionnels Confort. Ils ont le mérite d’allier maintien et … confort, chose apparemment moins évidente avec les sièges normaux. Cela tombe bien, c’est également ceux que je trouve les plus jolis.

Mes premiers tours de roues en Bugatti Veyron

Démarrage et… pas grand-chose en fait. De l’intérieur, le moteur se fait discret et il faut entrouvrir les fenêtres pour entendre un râle digne d’un bateau. Le son est profond, grave et surprenant. Rien de connu ne lui ressemble, bien différent des cris d’un V12 ou du son rauque d’un V8 ! C’est limite décevant quand on sait qu’ils sont seize cylindres d’un demi litre à s’exprimer juste derrière. Nous commençons à partir et à basse vitesse rien ne laisse présager de l’auto dans laquelle nous sommes : le confort reste très acceptable sur les raccords, bosses et chaos de la route. Et mis à part les ralentisseurs qui sont à passer à très, très basse, vitesse (quelqu’un a dit à l’arrêt ?) c’est une voiture normale.

Voiture normale, il faudra le dire vite si l’horizon se libère. Là, la Veyron se transforme et montre son autre visage. On découvre une voiture totalement différente et totalement folle. Un enfoncement du pied droit sur la pédale d’accélérateur vous donnera une poussée monumentale. Ainsi, elle-ci ne s’arrêtera que lorsque vous retirerez votre pied de la pédale. C’est un autre monde, jamais je n’ai ressenti ça ! Une GT-R ? Larguée. Un avion au décollage ? Pas aussi violent. Mais le plus dingue à mes yeux, c’est que la poussée se fait sans brutalité. Elle vous colle dans le fond du siège et ne vous permet pas d’en sortir tant que vous accélérez.

Bugatti, terre de confort

Le tout se fait en gardant un confort et un niveau sonore digne d’une Rolls ou d’une Bentley. Par la suite, nous enchaînons quelques virages qui montrent que malgré le poids, l’agilité est bien réelle. Les relances exigeront un dosage précis de l’accélérateur, non pas que la voiture soit instable, mais parce que les autres usagers vous paraîtront tous très, très lents en comparaison !

Bugatti Veyron

Après quelques dizaines de kilomètres, le propriétaire finit par se garer et me demande de prendre le volant. Est-ce que je dois accepter ? Est-ce que je peux accepter une telle proposition ? Mon cerveau ne sait plus ce que je dois faire, ni dire, mais je me souviens que nous avons changé de place. Peut-être même sans que je ne réponde. Une fois assis derrière le volant, je me mets à trembler à l’idée de pouvoir conduire ce mythe. Ce moment précis restera gravé à jamais dans ma mémoire : ce moment où je suis sur le point d’avoir le choix de redémarrer et prendre le volant de cette légende sur roues.

Vivre un rêve !

Je règle ma position de conduite, tout simplement parfaite, et j’admire le superbe volant qui mêle cuir et aluminium et qui offre là aussi, une prise en main parfaite. Les compteurs sont fabuleux, usinés dans la masse. J’ai juste envie de les regarder encore et encore. Le compte tour se trouve au centre, plutôt grand, très visible. Sur les côtés se trouvent le tachymètre, les inévitables indicateurs de température et de carburant et… un compteur de puissance qui permet de connaitre le nombre de chevaux utilisés en temps réel. Ils sont enchâssés dans des tubes en aluminium du plus bel effet.

Une fois familiarisé, mais pas encore à l’aise, je démarre tranquillement et apprécie la facilité de conduite assez incroyable. Là, les rapports s’enchainent, la direction précise permet de savoir où l’on met les roues et offre un bon feeling. Les 1001 chevaux ne se font pas trop présents si je ne les provoque pas . Je suis stupéfait de tant de facilité ! De plus, cette mise en confiance est additionnée à celle du propriétaire qui m’encourage a hausser le rythme. Il me guide pour le trajet et on arrive sur une ligne droite. Elle fait plus de 10 km, et elle est déserte à première vue. Mon hôte me dit juste de mettre le pied dedans. Sans avoir trop le choix, comme guidé par une force inconnue, je m’exécute sans trop réfléchir.

Bugatti Veyron, à fond ?

Là, comme en passager, la poussée est démente. Impossible de ne pas rester incrusté au siège. Le souffle coupé, j’ai le temps de voir que la voiture est sur un rail et ne bronche pas, tout en permettant de conserver un ressenti de ce qui se passe sur la route. Je regarde furtivement le compteur pour apercevoir un 312. Je demande à mon passager s’il s’agit de la puissance utilisée mais il me répond tout naturellement qu’il s’agit bien de la vitesse. La voiture étant tellement insonorisée et stable, j’aurais parié sur une vitesse nettement inférieure ! Je relâche quelque peu l’accélérateur, impressionné par les nombres qui continuaient de grimper mais également poussé par une fonction plus vitale : respirer.

A peine cette action effectuée que nous voilà dans un enchaînement de virages. Agilité, feeling, freinage dantesque et accélérations ahurissantes sont là et donnent un plaisir jamais ressenti auparavant ! Le tout dans un grondement indescriptible constitué des seize cylindres et dump-valves qui s’expriment juste derrière ma tête. Le décharge des quatre turbos est d’ailleurs la seule chose qui m’indique que la Veyron vient de changer de rapport tellement la boîte est efficace et l’accélération continue.

Ensuite, je prends le temps de me garer quelques instants pour prendre des photos rapidement et sur le vif. Aujourd’hui, je me désole de ne pas avoir immortalisé ce moment avec un vrai shooting photo, mais sur le moment, j’ai eu l’impression d’en faire beaucoup. Nous repartons dans un grondement sourd à la même vitesse que nous sommes arrivés. Après quelques dizaines de kilomètres de plaisir, je gare la voiture de nouveau dans son antre, au milieu des autres merveilles.

Vivre avec une Bugatti Veyron, facile ?

Je prends encore un peu de temps avec mon hôte pour échanger avec lui à propos de la voiture, de mon essai qui vient de se passer, et de la passion automobile. L’heureux propriétaire me confie qu’il adore cette auto malgré sa plus grosse lacune : elle est inutilisable partout ! Trop basse et sans visibilité pour la ville, beaucoup trop puissante sur route ouverte et bien trop lourde sur circuit… Ma question ne s’est pas fait attendre « Pourquoi l’avoir achetée dans ce cas ? » « Parce que c’est un mythe, une voiture d’ingénieur et une fiche technique unique ! Le tout dans un écrin irréprochable ».

Ensuite, il me raconte des scènes de la vie quotidienne, où les autres usagers deviennent littéralement fous à son passage, essayant de voler une photo au feu rouge. Parfois même, être suivis par cette Bugatti Veyron, entraîne de leur part une conduite hasardeuse. Pourtant, les choses s’accélèrent encore à l’arrêt une fois garé, avec un minimum de 5 personnes tournant autour de la voiture. De son aveu, il est plus facile de sortir avec sa Ferrari 250GTO, bien plus discrète et inconnue du grand public. J’aimerais bien le vérifier et avoir ce genre de problème, mais c’est une autre histoire… 

Bugatti Veyron : en bref

Evidemment, tous ces petits désagréments de la vie courante n’enlèvent rien au plaisir hors norme procuré par cette machine. Par contre, les coûts prohibitifs d’entretien seront un frein à une utilisation trop poussée. Pensez donc, rapidement à la folie des chiffres : 25.000 € pour une caméra de recul en post-équipement. Plus de 200.000 pour une teinte de cuir extra série sur la planche de bord. Attention, les consommables ne sont pas non plus donnés. Ainsi, les pneus sont à plus de 20.000 € les quatre, les freins issus de l’aéronautique, les vidanges multiples… Et, c’est sans parler des jantes à changer systématiquement lorsque vous atteignez les 400 km/h…

De toute évidence, ces nombres feront rêver autant qu’ils ne feront peur, comme ceux de la fiche technique. Approcher une Veyron est un privilège, conduire une Veyron est un rêve. Cet essai n’aura fait que renforcer ma fascination pour la Bugatti Veyron, et toucher du bout des doigts ce rêve inaccessible, gravé à jamais dans ma mémoire !

Pour finir, retrouvez ci-dessous l’ensemble des photos prises ce jour là, 10 ans plus tôt :

Texte et photos : Romain
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